Libération 21 décembre 2016 : Eva Joly porte plainte contre Veolia pour corruption

Publié le par Jean-Luc Touly

L'ancienne juge d'instruction, reconvertie comme avocate, met en cause la multinationale de l'environnement pour avoir exfiltré la gestion des coupures d'eau dans des paradis fiscaux. Une nouvelle affaire embarrassante, où des dirigeants de Veolia s'en seraient mis plein les poches.

Antoine Frérot, PDG en titre de Veolia, dit être «tombé de l’armoire», et a porté plainte début décembre pour corruption interne. Guère convaincue de sa volonté de faire le ménage, Eva Joly, en tant qu’avocate du syndicat FO du marchand d'eau et avec sa fille Caroline de l’association Anticor et de la Fondation Danielle Mitterrand, a également déposé plainte lundi, pointant les mêmes faits. Barnum pénal garanti.

En cause, la stratégie de Veolia visant à sous-traiter la gestion de ses factures d’eau, y compris les poursuites contre les mauvais payeurs qui lui coûteraient 35 millions d’euros par an. On peut le comprendre : depuis la loi Brottes de 2013, instituant un droit minimum à l’eau, indispensable à la vie courante, les cadors français du secteur (Veolia, Suez et Saur) font face à une multitude de plaintes de consommateurs pour coupure abusive de leurs robinets (1). Plutot que d’être condamnée, Veolia préfère donc refiler la problématique à des tiers. Sauf que le récipiendaire du pataquès, la société Olky Payment, logée au Luxembourg, a été fondée par des dirigeants de Veolia, leur employeur. Lequel leur a garanti aux dirigeants d’Olky Payment un rachat ultérieur à hauteur de 200 millions d’euros. Du coup, l’externalisation se doublerait d’un détournement de fonds, voire de la constitution d’une caisse noire.

Le lièvre a été soulevé par un article de Mediapart, fin novembre, fort justement titré «Le banquet des fauves». Me Joly s’est chargée d’en donner une lecture pénale : abus de bien social, corruption privée et recel du tout. A l’oral, lors d’une conférence de presse tenue mardi matin, cela donne: «Les faits sont très graves, une mécanique corruptive via des structures cachées.»

Une «action traçante»

Rembobinons le film. En décembre 2014, Alain Franchi, directeur général de Veolia, confie la gestion des factures d’eau (cinq milliards d’euros annuels au nom de 7 millions de clients) à une filiale maison, Payboost. Laquelle entend déjà proposer ses services à des tiers, comme les offices HLM, également victimes des mauvais payeurs. Un nouveau business pour la «vieille dame», qui n’a jamais cessé d’élargir la gamme de ses métiers en complément du secteur historique dans l’eau. Mais la partie logistique et technologique des paiements est confiée à une coquille luxembourgeoise de création très récente : Olky Payment, qui se présente fièrement comme le «premier établissement financier européen spécialisé dans les opérations de paiement». Pour prix de sa sous-traitance, Olky se voit garantir un minimum de treize millions d’euros par an de chiffre d’affaires – quand la BNP, précédent prestataire de services en la matière, se contentait de 25 fois moins. Dès sa première année d’existence, avec une petite poignée de salariés, Olky affiche déjà un bénéfice de six millions d’euros. Alléchant. Deux mois plus tard s’invite au capital (10%) Jean-Philippe Franchi, frère du Directeur général de Veolia et contrôleur de gestion au sein du groupe. D’autres suivent comme l’avocat de la coquille, Nicola di Giovanni, ou un ancien dirigeant de la Caisse des Dépôts reconverti dans un fonds d’investissement, Olivier Boyadjian.

 
 
 
 
 

En mars 2015, Veolia aurait envoyé aux actionnaires de la coquille naissante une lettre ou elle s’engagerait à racheter leurs parts pour… 200 millions d’euros. «Cette lettre existe», souligne une source interne de la vénérable maison. «Nous n’en avons pas trouvé trace», rétorque la direction de l’entreprise. Dans la foulée, entre en scène la société Gaway, qui se voit attribuer une «action traçante» au sein de Olky Payment. MeJoly, pourtant férue en matière financière, avoue qu’elle ignorait tout de ce concept - Libération également. Bref, cette action dite «traçante» accordait soudainement 21,7391% des parts et des bénéfices à son heureux et soudain bénéficiaire : la société Gaway, laquelle est enregistrée au nom de Philippe Malterre, «pilier» historique de Veolia.

Résumons. Deux dirigeants de l’antique Générale des Eaux sont ouvertement soupçonnés – au mieux – de piller la boutique, voire de constituer – au pire – une cagnotte destinée à on ne sait qui ou quoi. Qu’en pense Antoine Frérot, PDG en titre? «Difficile d’imaginer qu’il n’en sache rien, affirme Jean-Luc Touly, délégué FO chez Veolia et co-plaignant. L’entourage du PDG de Veolia rétorque qu’il a découvert le pot aux roses par un coup de fil de Mediapart, avant publication de l’article. Dans l’urgence, Frérot a promis un audit interne et mis à pied les deux cadres en cause. Mais c’est désormais le parquet qui a la main sur l’affaire.

(1) La loi du 15 avril 2013 portée par François Brottes, député PS, a été confirmée par une décision du Conseil constitutionnel du 29 mai 2015 interdisant aux distributeurs d’eau de «se faire justice soi-même».

Renaud Lecadre
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