Arrêt sur images 19 juin : SECRET DES AFFAIRES : "ON NE VEUT PLUS DES LANCEURS D'ALERTE" Avions, taxis, pompes à fric, etc : qui veut étouffer l'info ?

Publié le par Jean-Luc Touly

Arrêt sur images 19 juin : SECRET DES AFFAIRES : "ON NE VEUT PLUS DES LANCEURS D'ALERTE" Avions, taxis, pompes à fric, etc : qui veut étouffer l'info ?

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Enquêtes sur la corruption, sur l’usage de l’argent public, c’est le rôle de – certains – journalistes mais aussi celui de parlementaires et d’associations anti-corruption. Mais nombreux ceux qui souhaitent étouffer ces enquêtes. Pour en débattre, trois invités : Jean-Luc Touly, président de latoute jeune association anti-corruption Front républicain d'intervention contre la corruption – dit aussi FRICC – et par ailleurs lanceur d’alerte sur les marchés publics de l’eau, Fabrice Rizzoli, représentant d’Anticor, et Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice communiste des Hauts-de-Seine, rapporteure de la Commission d’enquête sur le crédit impôt recherche, rapport qui, comme nous l’avons raconté sur le site, ne sera jamais publié.

Coulisses de l’émission, par Anne-Sophie Jacques

C’est le genre d’information qui reste en travers de la gorge : la semaine dernière, nous vous racontionscomment le rapport de la Commission d’enquête sénatoriale consacré au Crédit impôt recherche (CIR) a été enterré. Six mois d’enquête sur "la réalité du détournement du CIR de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays" ont été "mis au pilon" comme le dit sur notre plateau la rapporteure de cette Commission, la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin. La voici condamnée à ne jamais divulguer à l’écrit les conclusions de ce travail qui, selon elle, ne visait pas à épingler les éventuelles fraudes – pourtant pointées par la Cour des comptes en 2013 – mais à jauger l’efficacité de cette niche fiscale qui coûte à l’Etat pas loin de six milliards d’euros… et qui pourrait grimper à terme à neuf milliards.

Cette aide à la recherche privée hors contrôle est à comparer aux aides pour la recherche publique – qui voit ses crédits fondre d’année en année – et qui, elles, sont placées sous surveillance du grand argentier. Le comble. Parmi les enseignements de cette enquête : la manne accordée aux entreprises ne bénéficie pas aux docteurs de notre pays. C’était d’ailleurs une des conclusions du rapport indépendant rédigé par l’association La science en marche accessible ici au format PDF : "moins de 10% des entreprises bénéficiaires du CIR ont recours au dispositif en faveur de l’emploi des docteurs". J’apprends à l’occasion que le taux de chômage des titulaires d’une thèse est trois fois plus élevé en France que dans les pays de l’OCDE. C’est dire l’échec – dans ce registre – de cette faveur fiscale.

Mais il y a plus troublant : les grosses entreprises – à la différence notable des PME et PMI, précise la sénatrice – mettent en place des schémas complexes d’optimisation fiscale pour bénéficier du CIR. Ainsi le cas de Renault épluché dans un reportage de L’œil du JT diffusé sur France 2 le 6 mai dernier. Renault ventilerait ses dépenses R&D dans plusieurs filiales dont trois sont suspectées de n’avoir aucune existence réelle puisqu’elles n’emploient aucun salarié en leur nom. L’équipe de France 2 a même déniché le témoignage d’un syndicaliste qui rapporte les justifications de la direction de Renault lors d’un comité d’établissement tenu en 2009: cette dernière avoue que les filiales en question sont "des pompes à fric". Une expression qui choque sur notre plateau et notamment Fabrice Rizzoli, représentant d’Anticor.

C’est peu dire que ce reportage de France 2 a déplu à la direction de Renault. Dans un article déniché ici, on découvre que le directeur financier du groupe, interrogé par la Commission, s’est défendu de tout abus de droit. Mais le reportage de L’œil du 20h n’a pas seulement fâché la direction de Renault. Dans ce même article, on apprend que le sénateur Républicain et membre de la Commission Michel Vaspart, "atterré par ce reportage, a demandé au Président de la Commission que le Président de France Télévision soit entendu par la Commission pour faire la lumière sur les accusations portées par le reportage et partant déterminer si les allégations des journalistes sont fondées". In fine, le Président de la Commission Francis Delattre (Républicain) a envoyé à France 2 une lettre de protestation "pas vraiment argumentée" comme me le racontait ce matin le directeur de l’info de la chaîne, Eric Monier. Ce dernier a également reçu copie de la lettre envoyée par Carlos Ghosn, patron de Renault, au CSA. France 2 s’apprête à répondre qu’elle n’a "rien à se reprocher".

On perçoit ainsi les pressions exercées par les entreprises – en l’occurrence Renault – sur les parlementaires. Le journaliste Sylvestre Huet de Libération – un des rares à avoir écrit sur le caviardage du rapport – croit savoir que "des pressions politiques, et d'autres venues de l'industrie et notamment du patron de Renault Carlos Ghosn en direction du Président du Sénat Gérard Larcher, se soient transformées en consignes de vote, condamnant le rapport à la destruction".

Industriels/politiques : un monde poreux que connaît bien Jean-Luc Touly, président de la toute jeune association anti-corruption Front républicain d'intervention contre la corruption – dit aussi FRICC – et par ailleurs lanceur d’alerte sur les marchés publics de l’eau, un domaine qu’il maîtrise bien vu qu’il est salarié de Veolia depuis 40 ans et également représentant syndical. Dans son dernier ouvrage Les recasés de la République paru cette année aux éditions First, il raconte la façon dont Veolia a embauché et embauche toujours hommes et femmes politiques. Par amitié peut-être ? La valse des noms donne le tournis. Sur le plateau, Touly cite le cas de filles ou fils de embauchés par Veolia (ou EDF dirigé par Henri Proglio, auparavant patron de Veolia) : Julien Bartolone, Arthur de Villepin et Pauline Borloo. Quand Touly a interrogé la direction du groupe sur ces embauches inopinées, il a reçu une fin de non-recevoir.

Vous le verrez : Touly est intarissable. Une prolixité partagée par tous les lanceurs d’alerte qui fourmillent de bonnes infos ou d’anecdotes croustillantes comme nous avions pu le constater l’an dernier en invitantRaymond Avrillier – qui s’est attaqué notamment aux affaires des sondages de l’Elysée sous Sarkozy – et Hervé Lebreton, pourfendeur de la réserve parlementaire. Intarissable et toujours prompt à dégainer : son association à peine constituée – les statuts ont été déposés début juin – Touly a porté plainte contre Manuel Valls pour détournement de fonds public pour l'affaire du vol Poitiers-Berlin et s’interroge sur l’opportunité de poursuivre les sénateurs à l’époque UMP qui, de de 2003 à 2014, se sont octroyés 8000 euros à chaque Noël comme le révélait cette semaine Mediapart. "Je crois que je vais changer de parti politique" rigole la sénatrice. Pas la peine : le nouveau président du groupe Les Républicains a mis fin à ces généreuses étrennes.

Prolixe, Rizzoli l’est tout autant. Représentant d’Anticor depuis décembre dernier et membre depuis un paquet d’années, il rappelle que l’association anti-corruption s’est créée en 2002 suite à l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la Présidentielle. L’idée était de remettre de la transparence et de la démocratie dans la vie politique pour faire taire le tous pourris qui alimente le Front national en nouvelles recrues écœurées. Un vœu sain mais un vœu pieux ? On doit bien constater au terme de l’émission que nos institutions sont malades et, malgré "la République exemplaire" voulue par Hollande, elles sont loin d’être en voie de guérison. La directive européenne sur le secret des affaires, analysée par Les décodeurs du Monde et dénoncée par la journaliste de France 2 Elise Lucet, par voie notamment de pétition, est un nouveau risque d'entrave à la liberté d'informer. Pas dit que l’enthousiasme et la détermination de nos trois invités – tout comme une poignée de parlementaires ou même certains journalistes d’investigation – parviennent à guérir le système de sa corruption… mais ça vaut le coup d’essayer.

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